mardi 29 mai 2012

C'est qui le maître ?

Vendredi 25 mai, 18h00. La semaine chargée de stress et avare en sommeil s'achève au stade Emile Anthoine.

L'air est lourd. Le soleil transforme mon jogging bleu marine en rice cooker. Il doit être en laine bouillie. Ou en plume d'oie, je ne sais pas...
Mon haut, en revanche, est fait dans un textile technique respirant. Mais il est noir, à manches longues. Je me souviens encore du jour où je l'ai acheté : j'ai quasiment ri au nez de la vendeuse qui me tendait un débardeur rose... Résultat, je suis cuite avant même de m'être échauffée.

J'ai rendez-vous avec Pascal pour une séance de fractionné. A priori, rien de très compliqué : je vais devoir faire 4 tours de stade (celui-ci fait 350 m), la première moitié en accélération, la seconde en récupération (marche rapide).

Avant de partir pour la 1ère accélération, Pascal m'indique que je dois arriver à l'angle opposé en 1'20. Je me souviens que ça n'était pas loin d'être mon rythme, pendant mon premier demi-cooper, puisque j'avais fait le premier tour en 3 minutes. Je pars donc confiante : je peux le faire, je le sais.
Pascal court à mes côtés. Quand il n'est pas là, je pense que je brûle plus de calories à surveiller ma montre et à mémoriser mes performances qu'à faire l'exercice. Mais là, il me suffit de le suivre, c'est confortable. Et réconfortant.

La première accélération se passe. La seconde aussi. Côté chaleur, je suis à mi-cuisson. Côté mental, je suis surprise : je ne m'attendais pas à ce que la récupération soit si difficile. J'ai soif, ma bouche est en papier mâché. Je bois à chaque fin de boucle, mais rien n'y fait. Au troisième tour, j'ai arrêté de râler. Même entre les dents, ça me prenait trop d'énergie. A la fin de l'accélération, j'ai même commencé à hyper ventiler. En marchant, je me suis demandé qui était Emile Anthoine... Probablement le saint patron des asphyxiés. Je déteste ce stade, je conchie le soleil, je veux de l'ombre et il n'y en a pas.

"Allez, 4ème accélération, mais comme c'est la dernière...
Ah la vache, je connais ce sourire. Cette phrase qui ralentit un peu, ce suspens qui ménage son entrée...
... comme c'est la dernière, on va la faire en 1'15. C'est 5 secondes de moins, ça n'a l'air de rien, mais tu vas sentir la différence... Tu es prête ?"
Non. Non, ben non, je ne suis pas prête, non.
...
A bout de 2 mètres, je comprends où se situe le problème : on va trop vite.
On a bien parlé de 5 secondes, pas de 5 minutes ?
Je vois l'écart entre les talons de Pascal et mes pointes de pied s'allonger, s'allonger... Je n'ai plus de jus, je ne vais pas y arriver, je ne vais pas y arriver, je n'y arrive pas, je n'y arrive pas, je n'y arrive plus. Plus. 
"Pascal... peux plus".
J'ai lâché prise dans un sanglot, au tournant.
A nouveau, la sensation de m'étouffer, la panique m'étreint. Les garçons qui s'entraînent à côté sur le terre-plein se retournent, intrigués par mon souffle bruyant et saccadé. J'ai tellement envie de pleurer. Mais même ça, je n'y arrive pas, j'ai les poumons tétanisés. Pascal me redresse la colonne d'air, tout s'arrête.
Je suis morte de déception.

...
"Tu t'es laissée submerger par le stress, mais c'est pas grave. Parce qu'on va le refaire".
Je n'en crois pas mes oreilles.
Il me refait le coup des squats, et je ne m'y attendais toujours pas.
Qu'est-ce que je suis con, bien sûr qu'on va le refaire...
L'espace d'un instant, je songe à abandonner.
Et puis Pascal me dit que s'il ne me savait pas capable de terminer ce tour, il ne me le ferait pas faire. Le problème, c'est que moi, je n'en suis pas convaincue. Pourtant, c'est simple : mon corps me suit. C'est moi qui décide, c'est moi le maître. Et pas l'inverse.

Peu à peu, la petite musique de l'ego monte en moi, comme les violons de la Walkyrie aux oreilles des patriotes... Je cale mes pieds sur la ligne de départ, regonflée à bloc. Je m'élance.

J'ai fini en 1'18.
"Alors, c'est qui, le maître ?" m'a lancé mon coach dans un rire.
 Un sourire extatique s'est répandu sur ma face rouge brique. Et comme dans un film américain, un coureur qui me dépassait à ce moment là m'a crié "bravo" ! Il ne manquait plus que la foule qui applaudit au ralenti, Terri Nunn qui entonne "Take my breath away" et Tom Cruise qui recale ses Ray-ban. C'était merveilleux.

C'est vrai, c'est moi, le maître.
Je suis le capitaine de mon navire.

♪ ♫Take my breath a-euh-wayyyyyyyyyy tin tin, tin tin tin...♫♪

8 commentaires:

  1. Tiens bon la barre et tiens bon le vent... Hissé oh... ma K-ro

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  2. Ouais, je suis un fameux trois-mâts, presque fin comme un oiseau... !! :-)

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    1. ns avons les memes references a ce que je vois...
      j'attends la suite... ;-)

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  3. Je crois que Tom Cruise, il est à Los Angeles, pas à San Francisco…

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  4. Très beau texte....Bravo Ma Caro !

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  5. Ce stade va te porter chance! C'est là où j'allais en cours de sport mes 2 dernières années de lycée.
    Bravo et gros bisous ma Caro!

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